Hissez haut !
Pendant très longtemps, le Roman des Romands n’existait pas. J’étais moi-même en train d’étudier à l’une de ces époques lointaines. Je lisais beaucoup. Des livres pour l’école, mais surtout pour moi.
Tous les écrivains que je lisais étaient morts depuis des lustres. En tout cas, je n’avais jamais envisagé qu’ils puissent être vivants. Jusqu’au jour où un bruit me revint. Je ne sais plus comment. En ce temps-là, internet n’existait pas, ni rien de ce qui nous permet aujourd’hui de savoir à peu près tout sur tout, à condition de le vouloir. Le bruit qui m’était revenu laissait entendre que la personne qui avait écrit le livre que je m’apprêtais à lire était non seulement morte depuis peu, mais avait vécu tout près de chez moi. Une cascade de révélations! Une femme d’abord. Comment croire qu’une femme avait trouvé le temps et surtout l’audace d’écrire? Et presque aussi valaisanne que moi! Et qui avait vu de ses yeux le monde que je regardais tous les jours!
Il était hélas trop tard pour inviter Corinna Bille dans nos classes.
Mais personne n’a pensé à faire venir d’autres écrivains. Et nous, les élèves, non plus. Et moi, la dévoreuse de livres, pas davantage. Nous n’avions rien demandé, alors que nous aurions pu. Même cela, nous n’avions pas été capables de l’imaginer. Quelle tristesse! Il faut dire que dans ce Valais où j’étudiais, et dans cette Suisse entière, je crois bien, il aurait fallu se lever de bonne heure pour entendre dire haut et fort, et même avec fierté, que chez nous aussi, il y avait des écrivains, et que certains d’entre eux écrivaient d’une manière magistrale.
Pas grand-chose n’a changé, je veux dire à propos du fait de reconnaître certains faits haut et fort… Le jour où vous entendrez un de nos politiques se référer à des œuvres littéraires qui comptent vraiment dans sa vie, sonnez-moi!
Euh… postez un message plutôt.
Quelque chose a changé pourtant, qui n’est pas rien dans un pays comme le nôtre: des écrivains vivants, d’horizons fort divers, se rendent désormais dans des classes pour rencontrer de jeunes femmes et de jeunes hommes tout aussi vivants qu’eux. J’ai eu l’occasion d’y aller moi aussi. En me demandant à quelle sauce je serais mangée, sachant bien, comme vous le savez, que les bruits qu’on entend désormais ne sont plus ceux des pages qui se tournent.
J’y suis allée quand même.
À chaque fois, il s’est trouvé au moins une jeune femme, un jeune homme, qui a vécu la rencontre en se disant exactement ce que je me serais dit quand j’étais à leur place:
quelle chance!
© catherine lovey, juin 2018
Un ouvrage célèbre les 10 ans de cette expérience du Roman de Romands. Initiative magnifique et nécessaire, qui relie les textes contemporains aux étudiants contemporains, avant que ceux-ci, absorbés par la vie dite active n’en concluent, au mieux, que les rares stories intéressantes sont écrites par des Américains, et au pire que lire ne sert à rien…