En piégeant vous-même une interview?
Au mois de mai 2019, je suis contactée pour savoir si je serais d’accord de participer à une interview féminine pour une revue littéraire en ligne. Je me crispe d’emblée. Non pas à cause de la personne qui a relayé cette proposition, une femme que j’apprécie beaucoup, traductrice et dynamique cheville ouvrière entre deux langues et deux cultures, mais en raison du piège qui nous est systématiquement tendu, dès lors qu’on se trouve être un écrivain, MAIS doté d’un sexe féminin.
Depuis que je publie des textes littéraires, j’ai eu l’occasion d’expliquer la nature de ce piège, de décrire la longueur, la largeur et la profondeur du ghetto, et aussi l’allure de la corde qui nous est si gentiment et sans cesse tendue pour que nous nous pendions nous-mêmes.
Rien n’y fait.
Dans un premier mouvement, je me suis dit qu’il était hors de question que je participe. Puis j’ai décidé de me servir de cette interview en la piégeant moi-même. J’y réponds donc en tant qu’écrivain homme. Ce subterfuge permet, à mon avis, de lire ce qu’on a si peu souvent l’occasion de découvrir noir sur blanc: l’absence totale de remise en question, par les hommes, de situations de blocage (pour être polie…) dans lesquelles se retrouvent toujours les femmes, comme si c’était leur faute à elles, et que les hommes n’y étaient strictement pour rien.
J’ai donc accepté de répondre et travaillé ce texte, qui plus est rapidement, après que l’on m’a fait savoir que le délai était court. Je l’ai terminé le 20 mai 2019, et envoyé.
Depuis, aucune nouvelle, en dépit de diverses demandes que j’ai faites pour savoir quand ce «sujet» paraîtra, à propos duquel un nombre certain d’écrivains femmes ont été contactées.
Neuf mois ont passé. Une grossesse. Je le publie par conséquent sur mon site, sans donner pour le moment le nom de cette Revue.
QUESTIONNAIRE STANDARD XX
Deadline: 25 mai 2019
Thème FEMME
XX: - Chère Catherine LOVEY, La XX vous invite à participer à un échange d’idées et de partages sur le thème actuel de notre webmagazine : La femme en toute inquiétude. Nous avons le plaisir de vous adresser quelques questions, puisque vous représentez un univers artistique et culturel d’étonnement et d’émerveillement, digne d’être approché. Vous vivez en Suisse, adorez la montagne et la marche, vous êtes auteur de plusieurs romans et essais, traduits en plusieurs langues, vous avez des prises de positions fermes, vous êtes à nos yeux une artiste à faire (re)découvrir.
Pour commencer, dites-nous, s’il vous plaît, ce que «la femme» est ou n'est pas pour vous.
Une femme est un être d’une très grande sophistication. Elle seule se montre capable de produire non seulement des femelles, mais aussi des mâles. Les femmes sont donc fondamentalement doubles. Cet avantage inouï me permet de choisir de répondre à votre questionnaire en tant qu’homme. Je constate en effet que nous autres, écrivains de sexe masculin, sommes sans cesse invités à occuper l’essentiel du temps et de l’espace consacrés par des magazines et des émissions à des thèmes littéraires jugés sérieux. Or, et je le déplore, voici que nous sommes systématiquement congédiés, dès lors qu’un magazine se décide à empoigner un sujet considéré comme féminin, ainsi que vous le faites en ce moment. Je comprends bien que, dans un souci d’égalité de traitement, les femmes qui écrivent soient sollicitées, de temps à autre en masse, dans le strict cadre du ghetto thématique qui leur est réservé. Mais j’avoue être lassé de ne devoir répondre, à longueur d’interviews, qu’à des questions ayant trait à mon approche de la littérature, aux grands auteurs, aux grandes questions de notre temps, à ma manière d’écrire, de travailler la langue, et bien entendu au succès rencontré par mes livres. Je suis donc ravi, pour une fois, de pouvoir réfléchir à la question FEMME, moi qui suis un grand féministe, et ne l’ai jamais caché.
Qu’est-ce qu’une femme au-delà de sa définition sociale?
La femme est un être sexué, au contraire des hommes, qui n’ont pas cette chance. Dès lors, la femme n’a pas à faire l’effort de s’inscrire au-delà d’une définition sociale, puisque la société s’occupe très bien, depuis la nuit des temps, de ce qu’elle est essentiellement, à savoir un corps. Il est vrai qu’aujourd’hui, la femme se plaint beaucoup. Elle exige que nous la regardions enfin comme un être humain, et surtout que nous cessions de la réduire à son seul sexe. C’est malheureux, et je parie que la femme va vite s’apercevoir de son erreur.
J’aimerais encore relever que nous avons tous bien raison de ne jamais mettre au pluriel le mot femme, car il suffit d’une seule pour les englober toutes. De la même manière, l’usage veut que nous parlions du problème avec LA fouine, avec LA pollution, avec L’écrivainE.
En revanche, lorsque nous autres, grands artistes, sommes interrogés, comme cela arrive si souvent, sur les petits plaisirs qui comptent dans notre vie, nous avons parfaitement le droit, après avoir cité les bagnoles, les sports de combat et les whiskys japonais, d’ajouter les femmes au pluriel, car nous ne saurions nous contenter d’une seule.
Le mot «femme». Quel poids, quelle dimension a-t-il, psychologiquement, historiquement, socialement, esthétiquement, phénoménologiquement et herméneutiquement, dans votre vie? Prenez dans cette lignée d’adverbes ceux qui vous chaussent le mieux?
J’aurais aimé être une femme. Ma vie aurait été beaucoup moins exigeante. Psychologiquement. Historiquement. Socialement. Esthétiquement. Phénoménologiquement. Et bien sûr herméneutiquement.
Jeune fille, quelle femme célèbre vouliez-vous devenir et pourquoi?
Jeune homme déjà, je voulais devenir un écrivain célèbre, un mélange entre Charles Bukowski, James Ellroy, Witold Gombrowicz, Thomas Bernhard, Georges Simenon et Gérard de Villiers. Les encouragements n’ont pas manqué. Mes parents m’ont vu comme un génie, mes professeurs n’ont cessé de dire que mon talent était immense. Mes amoureuses ont toutes cru en moi d’une manière admirable, et se sont par conséquent occupées de mon linge sale et de me préparer de bons petits plats, tandis que j’écrivais dans une chambrette sous les toits. À dire vrai, il ne s’agissait pas exactement d’une chambrette, et elle n’était pas sous les toits. En dépit de la pression terrible, presque insupportable, constituée par les attentes élevées qu’on nourrissait envers ma personne, je n’ai jamais perdu confiance, et j’ai persévéré. Le succès est venu très tôt. J’aurais pu me faire emporter, mais ne l’ai pas été, et je m’empresse de relever que la femme a toujours joué un rôle important autour de moi. Ma maman, pour commencer, mais aussi mes premières maîtresses, qui m’ont initié au sexe quand j’avais entre 12 et 15 ans. Elles étaient beaucoup plus âgées, pour certaines déjà des mères de famille fort délurées, et elles m’ont d’emblée pris au sérieux. Je leur dois beaucoup.
De toute l’histoire de l’humanité, de l’antiquité à nos jours, quelles injustices faites aux femmes vous ont le plus ébranlée?
J’ai été révolté lorsque j’ai appris qu’au cours des naufrages qui ont marqué l’histoire de la navigation, des hommes se sont précipités en premier dans les barques de secours, violant ainsi gravement le principe «les femmes et les enfants d’abord!».
Vraiment, tout ceci n’est pas à notre honneur.
Est-ce que vous vivez vos écrits et vos créations, en toute liberté?
Je vis mes écrits et innombrables créations en toute liberté. Certes, je subis parfois des pressions de la part de mes sponsors principaux, tels que Raco Pabanne, Olex Montres®, Dopobarba et Pacoste, pour ne pas les citer tous, qui voudraient influencer mes intrigues littéraires, et aussi mon allure de poète méphistophélique, plus qu’ils ne les influencent déjà, mais je leur dis Halte-là! de ma voix sans concession. Sans une liberté artistique totale, un écrivain tel que moi-même ne pourrait pas être ce qu’il est.
La musique apaise les esprits ou les bouleverse. Comment êtes-vous perçue par le grand public hétérogène? Comme un ou comme une artiste? Comme une brèche dans l’art masculin? Ou autrement?
Je suis perçu comme un grand écrivain contemporain, sans doute le plus doué de sa génération, auteur de livres visionnaires sur notre époque. C’est insoutenable. Afin de ne pas aller jusqu’à la destruction totale de ma personne, je maltraite mon public. Dans un tel enfer, il s’agit d’un pur réflexe de survie. C’est pourquoi mes lecteurs et mes voisins se retrouvent dans mes livres, qui sont tous de pitoyables beaufs, et surtout mes voisines et mes lectrices, des flemmardes pas même capables de prodiguer la seule chose qu’on attend d’elles avec régularité, à savoir des pipes, ainsi que je l’ai fait remarquer dès mes premiers écrits, bien avant que cet enfoiré de Houellebecq ne prétende avoir inventé à lui tout seul la phénoménologie de la fellation, en tant que mouvement littéraire. Malgré cela, ou peut-être – me direz-vous – à cause de cela, mon public est à chaque parution plus nombreux, et les critiques plus élogieuses. La littérature est une perversion à la fois magistrale et magique, on ne le dira jamais assez.
Comment se présente actuellement une femme «ambitieuse, dotée de caractère, de courage» en Suisse?
Actuellement, en Suisse, une femme ambitieuse, dotée de caractère et de courage se tient à sa place, comme elle l’a toujours fait.
C’est vous dire comment sont les autres femmes, qui n’arrêtent pas de se plaindre, surtout depuis qu’a éclaté ce mouvement de mi-tou, ou peut-être bien de mi-nou (j’ai un doute) dont on parle tant, et qui s’est déjà à moitié éteint, ou plutôt aux trois-quarts.
Pour ma part, j’éprouve une admiration infinie, presque insensée, envers les femmes courageuses, d’autant que j’ai compris très tôt dans l’existence, sans que quiconque n’ait à me l’expliquer, que quelle que soit la Hannah Arendt qui se présente, aussi chaude et appétissante soit-elle, eh bien, elle n’atteindra jamais la cheville d’un quelconque Heidegger. Tâchons de ne pas oublier que lorsque nous autres, les humains, sommes arrivés sur cette terre, l’arbre de la connaissance avait déjà été planté, et le décor posé.
Est-ce que ces derniers deux siècles, d’une ethnie à l’autre, d’après vous, l’optique masculine est restée toujours la même?
L’optique masculine connaît des hauts et des bas, comme n’importe quelle industrie atteinte de cataracte ou de dégénérescence maculaire plus grave. Mais puisque cette manufacture a eu toute latitude, au cours des siècles et des siècles jusqu’à aujourd’hui, de montrer de quel bois elle se chauffait, il n’y a aucune raison qu’elle modifie la qualité des verres produits, garants d’une vision qui lui est en tous points favorable.
Souvent, quand les femmes se plaignent du manque de reconnaissance, de droits, de perspectives, d’importance et de visibilité que la société de nos jours leur accorde, que ce soit sur le terrain familial, politique, économique, scientifique ou artistique, des voix d’hommes ou de femmes «plus ou moins émancipées», répliquent haut et fort: La différence entre l'homme et la femme n'existe pas et n'a jamais existé. Votre expérience à vous, votre vérité?
La différence entre les hommes et la femme n’existe pas, à ce détail près que les hommes sont des hommes. Quant à la femme, elle a un utérus. Notez bien que j’utilise le a simono-beauvoirien de possession à son corps défendant, et non pas le a platono-aristotélicien d’identité, qui aurait vite fait de glisser vers un est d’équivalence. En tant que féministe convaincu, je refuse de céder à cette facilité.
Dans quelle mesure la différence des sexes est-elle perceptible dans votre parcours culturel? Et qu’avez-vous vécu comme influence des rôles culturels préétablis (lors de votre formation, votre évolution et votre affirmation personnelle)?
Dans mon parcours de grand écrivain, je note une énorme différence entre le comportement respectif des hommes et des femmes vis-à-vis de moi-même et de mon œuvre. Mon éditrice, mes consœurs qui écrivent des histoires très touchantes d’oppression, de mépris et d’esclavagisme sexuel, ainsi que les critiques littéraires femmes m’admirent et me soutiennent. Elles disent que j’ai inventé un style littéraire révolutionnaire, en prise directe avec le monde contemporain, et que mes textes sont des coups de canif en même temps que des caresses. Les autres éditeurs, et écrivains, et critiques hommes me méprisent, on dirait qu’ils sont jaloux, et ils me guettent constamment comme un concurrent très menaçant. Il n’y a rien d’étonnant, tant il est vrai qu’entre mecs, nous nous livrons à une compétition d’une violence inouïe, afin d’occuper les places les plus enviées. De son côté, la femme qui écrit n’a pas à s’inquiéter de tout ceci. Elle a le droit d’écrire ce qu’elle peut, et au fond, ce qu’elle veut, et je dois dire que parfois, c’est assez intéressant.
Dans le statut ontologique de l’œuvre d’art ou de la découverte scientifique et de leur réception par le récepteur public, y aurait-il des signes spécifiques à l’art féminin, ou à la science proposés par des femmes, si vraiment l’on admet l’existence d’un art féminin ou d’une œuvre scientifique éminemment féminine? Tellement de théories pour et contre, près de ou nonobstant circulent dans le monde. Quel serait votre avis sur ce sujet délicat ou absurde?
On voit tout de suite quand un texte a été écrit par une femme. C’est plus relâché, la langue tangue et frissonne, les sentiments gigotent comme des cadavres de lapins auxquels on vient de retirer la peau d’un coup, les motivations des personnages sont peu claires, il y a beaucoup de victimes gémissantes et très peu de héros agissants, sans parler de cette regrettable obsession de la maternité, qui n’intéresse pas les critiques et rebute jusqu’aux lecteurs eux-mêmes. Si vous me permettez une image sans doute peu délicate, et néanmoins appropriée, je dirais que ça suinte de partout. Mais je vous interdis de me faire dire ce que je n’ai jamais dit, car en effet, la littérature féminine est fort intéressante. Elle mérite qu’on y jette un œil. Tout à fait.
Avez-vous ressenti tout au long de votre cheminement, d’un déplacement/lieu à l’autre, un non-accueil de la femme et du féminin de l’Être en quête de personnalité?
Je dois relever que j’ai souvent ressenti un non-accueil de la part féminine qui est en moi. Or, il s’agit d’une part importante de ma personnalité d’homme et d’écrivain contemporain majeur. Cela me heurte. M’affecte. Me blesse. Même si je ne saurais profiter de cette interview pour pleurnicher. Si j’écris en effet comme le grand écrivain que je suis, et si le monde littéraire a pu relever, à travers ce que j’écris, ce qui fait de moi un si grand écrivain, je trouve qu’on ne remarque pas assez les fulgurances féminines qui sont pourtant au cœur de mes textes les plus importants, et j’aimerais citer en particulier Mécanique de la putréfaction, Osmose et Métempsychose, Coralie ou le miroir inversé, et bien sûr aussi Pardon. Encore, mon nouveau roman qui paraîtra à la rentrée, en même temps que la série télévisée qui en a été tirée.
Pourquoi a-t-on toujours encore honte/peur/froid lorsqu’il faut parler franchement du rôle de la femme dans la vie des hommes?
Je suis toujours très ému lorsqu’un homme qui reçoit le prix Nobel de littérature, ou un autre Nobel scientifique ou n’importe quelle récompense importante, remercie celle qui s’est tenue derrière lui, l’a supporté sans se plaindre, l’a soutenu contre vents et marées et a pris soin de leurs beaux enfants, car on voit bien, dans ces moments qui sont pourtant très courts, qui ne sont composés que de quelques mots à la fin d’un long discours, à quel point cela fait plaisir à la femme concernée. Celle-ci est en principe l’épouse officielle, sauf dans les cas où la maîtresse du moment a été faussement introduite dans la cérémonie par le lauréat en tant que sa compagne légitime. Alors oui, je reconnais volontiers que sur le plan des émotions, je suis bon public, tendance fleur bleue. Mais entre vous et moi, je n’ai pu m’empêcher de remarquer, les rares fois où c’est une femme qui reçoit un prix important, qu’elle ne remercie jamais le moindre mâle susceptible de s’être tenu derrière elle, en soutien inconditionnel. J’ai toujours trouvé cela égoïste. Et j’ai aussi noté que la plupart du temps, la femme qui reçoit une haute distinction ne fait pas allusion aux enfants. Il faut dire qu’en général, elle n’en a pas. Je pense qu’il est de notre devoir de déplorer que les rares cérémonies qui récompensent une lauréate soient si tristes. Sans compter que la femme honorée est toujours extrêmement vieille. Tout ceci m’incite à dire qu’il faudrait vraiment distinguer la femme quand elle est jeune, même si je sais qu’elle l’est déjà abondamment dans les concours de beauté.
Nommez, s’il vous plaît, 10 cas exceptionnels de femmes qui ont obligé l’humanité à parler longuement d’elles! De la périphérie à la scène internationale, auteures, artistes, politiciennes, savantes, musiciennes, photographes, révolutionnaires, provocatrices, femmes qui ont laissé une véritable empreinte sur leur temps, et sur le nôtre, en un coup de baguette/destin?
Ah! Voici une question qui marque la limite de ma présence, en tant que grand écrivain contemporain, dans ce questionnaire conçu pour le genre féminin, à destination du genre féminin. La décence exige que je laisse la femme écrivain y répondre. Dont acte.
Quelles femmes artistes méconnues aimeriez-vous faire connaître et pour quelle raison?
Je vous ferais remarquer en premier lieu qu’il existe énormément d’hommes qui ont été des artistes éblouissants, souvent phénoménaux, et qui sont demeurés peu ou pas connus, parce qu’ils ne se trouvaient ni au bon moment, ni au bon endroit. En ces premières décennies du XXIe siècle, il est temps de ramener leurs réalisations à la surface. Dès que ma propre œuvre m’en laissera le loisir, je m’attellerai à l’écriture d’une anthologie des écrivains oubliés, dans laquelle plusieurs de mes aïeux et bisaïeux figureront en bonne place, qui furent de grands capitaines d’industrie en même temps que d’infatigables trousseurs de domestiques et de remarquables poètes.
Naître fille/femme est un atout ou un point faible? Les temps ont beaucoup évolué en Europe, mais pourtant, je me rappelle les paroles d’une femme bouleversante : «La femme a droit de monter sur l’échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune». Olympe de Gouge, auteure de la déclaration des droits de la femme de 1791.
Je m’oppose absolument à ce que la femme monte sur l’échafaud. Ses cris, ses larmes, ses suppliques, ses cheveux échevelés et déjà grisonnants ne sont pas du tout à la hauteur d’un tel enjeu. Quitte à passer pour un écrivain un peu vieux jeu.
Osons l’introspection freudienne. Au XXIe siècle on parle surtout du fait que la femme n’est plus un substantif, mais un prédicat, un verbe de la “devenance”. Parler de «genre », n’est-il plus parler de «sexes»? Le genre humain n’est plus une identité mais bien une métamorphose? Qu’en pensez-vous?
Je laisse volontiers Freud aux freudiens, non sans relever que la plume de ce vieux Sigmund n’est pas dénuée de formidables qualités littéraires. Quelle santé!
Que veut dé-construire de vous et pour vous la Femme que vous êtes?
J’essaie déjà de me construire, voyez-vous.
Ah, non! Excusez-moi, le naturel a pris le dessus, et j’ai répondu comme une femme.
Pourquoi voudriez-vous que je déconstruise ce que je suis si bien, si vite et si facilement parvenu à ériger à travers la stature de moi-même?
Peut-on admettre qu’il y aurait un âge à partir duquel on n’a plus envie de passer pour une femme mais plutôt pour un don/pouvoir d’être mystérieux (l’être heideggérien, peut-être)?
Il existe un âge à partir duquel la femme ne devrait plus ni se montrer ni exister, et je n’aurais pas l’impudence de vous dire ici quel est cet âge, tendre encore, ma foi…
Et osons davantage. Avez-vous des moments quand vous vous sentez plutôt homme que femme?
Mais pourquoi croyez-vous donc que j’écris? Pour me sentir femme, bien entendu! Une femme pleine et entière! Très jeune, très belle, très sexy. Une femme qui… ah! Une femme!
Louis Aragon a écrit: L'avenir de l'homme est la femme. C’est juste pour faire beau en poésie et en chant?
Louis Aragon abusait de la vodka, c’est un fait que l’histoire littéraire n’a jamais été capable d’affronter autrement qu’en vierge effarouchée.
La femme ne serait-elle pas un homme comme les autres! disent les biologistes, les généticiens, les cliniciens, et même les grammairiens. On n’en doute pas… Et pour calmer les turbulences, regardons ensemble le film L'Homme est une femme comme les autres, réalisé par Jean-Jacques Zilbermann, en 1998, à Paris.
Je n’ai jamais cessé de dire, moi aussi, que l’homme était une femme comme les autres, à commencer par moi-même, car c’est une grande qualité des hommes que de pouvoir aussi être femme, et de très bien comprendre la femme, mieux qu’elle ne se comprend elle-même, et de savoir ce qu’elle désire, puisque de son côté, elle n’en sait rien.
Restons ouvertes d’esprit et positives, puisque c’est mieux de croire que les vieux barbons qui voulaient préserver leurs règles, traditions et prérogatives sont bel et bien au temps de la canne et du deuil qu’on ne leur doit pas! Depuis leur disparition, on n’est plus les mêmes! Au moins, ici, dans notre espace de vie. Plus loin, c’est encore plus loin et plus compliqué ou toujours pareil. Une question ou une pensée pacifiste/ guerrière/ constructive pour traverser les temps et les convulsions barbares?
Je me sens plein de pensées barbares, et d’envies plus barbares encore, dussent-elles ne pas être agréées par notre terrifiante époque de censure, où plus aucun homme n’ose dire un mot, sans prendre le risque de se voir réduit en charpie, sans anesthésie qui plus est. Pour cette raison, je me contenterais de conclure pudiquement que la femme, vraiment, la femme est une chose formidable.
© catherine lovey, 19 mai 2019